Poudre de Sciure
Les chroniques traitant du Printemps où les tentes fleurirent sont nombreuses et presque toutes racontent comment les Peuples homins, chacun de leur coté, se mirent en tête de construire des camps militaires sur les Nouvelles Terres.
Poudre verte dans sa main. Une si douce sensation... Le soleil était haut et tapait fort dans son dos, mais il continuait son travail, acharné. Fou ? Non, passionné.
Tac ! Tac ! Tac ! Le bruit de la pioche qui s'abat, qui racle la sciure... Schlack ! La matière première est extraite.
Karius Xarinyx forait depuis plusieurs jours en ne s'accordant qu'un bref repos et se nourrissant de peu. Le seul petit plaisir qu'il s'accordait était la liqueur de shooki ambrée qui reposait dans les fontes de son mektoub de bât, qu'il avait nommé Shooki pour l'avoir acheté lors d'une fête trop arrosée. Il ne regrettait pas son geste, mais il en regrettait presque de ne pas avoir été assez vigilant, puisqu'il avait dépensé sans s'en rendre compte la quasi-totalité de ses économies. Tout en creusant et en consolidant les parois de la source exploitée, il sourit en se rappelant la raison de l'ivresse de ce jour-là. Il avait vu le Prince. L'Empereur Dexton avait présenté lors de son dernier discours, pour annoncer le début d'une grande campagne d'édification de « camps militaires », le sharümal¹ à la foule de gens réunis. Karius en faisait partie, et comme la plupart, c'était la première fois qu'il le voyait à l'Agora de Pyr. La compagne de Karius s'était étonnée de sa taille ainsi que de sa beauté. Karius avait répondu qu'il devait tenir de l'Impératrice Xania, non sans un sourire. Sa compagne l'avait gentiment réprimandé. Ce soir-là, il but jusqu'à plus soif et finit à trainer dans les ruelles. C'est ainsi qu'il fit l'acquisition de Shooki et qu'il décida de participer activement à l'érection des camps militaires. Pour les kitins, d'après sharükos². "Peut-être pour voir aussi si les matis vont pas passer à l'attaque", se dit Karius alors qu'il extrayait une énième ressource d'une assez bonne qualité.
Sa source entièrement exploitée, il se releva et porta les matières premières jusqu'à son mektoub, pour les mettre dans les fontes. Le chemin du retour serait salvateur, et il comptait bien rentrer et fêter tout cela avec son homine qui était, elle, partie à la chasse aux kitins non loin d'ici. L'apparition de ces kitins blancs était inquiétante, aussi les patriotes fyros partaient faire des chasses à l'immondice que représentaient les kitins. Pour bon nombre d'entre eux, le Grand Essaim était encore trop près ... Pas assez de sciure n'avait voyagé dans le Désert pour que l'on puisse se permettre d'oublier, d'autant plus que la menace était réelle. C'était loin d'être un souvenir...
Il claqua de la langue après avoir chargé les matières extraites, résultat de son labeur, sur Shooki, et avoir pris une longue rasade de liqueur. Le mektoub le suivit docilement et ensemble ils partirent en direction de l'entrepôt des quatre chemins, point de ralliement des matières où elles seraient travaillées, transformées.
Selix Lyseus l'apostropha alors qu'il venait d'arriver :
« Oren Pyr mon bon Karius ! C'est à cette heure-ci que tu te ramènes ? »
Karius mena son mektoub devant le responsable des matières Meron Zessen qui le remercia en murmurant « Akep », tout en faisant des paquets en grimaçant après tant d'heures de travail. Son dos le faisait souffrir. Karius répondit au Fournisseur :
« Ney, j'ai plutôt bien travaillé aujourd'hui ! J'espère que ça avance bien ?
- Il paraît oué ! L'idée de notre sharükos est excellente, ça maintient en forme les patriotes et on ne voit plus que des mektoubs lancés au galop dans le Désert ! Ah sharükos, si tu voyais ton peuple !
- Ah, bien, bien, fit le fyros en souriant, je vais donc rentrer à Pyr voir si Lerris, mon homine, est rentrée, et me reposer...
- Et bien, Karius, ça m'ennuie de te demander cela après la journée que tu as eu, mais nous avons des livraisons en retard, et …
- Très bien, je m'en occupe. Ça me fera faire une petite balade... et j'ai encore de la liqueur de shooki ! »
Karius et Selix échangèrent des banalités tandis que Karius chargeait Shooki des paquets qu'il destinerait aux chantiers. Le tout était de ne pas se tromper de destinataire... Mais les gars sur les chantiers avaient l'habitude, il paraît.
Sur le départ, ils hurlèrent tous deux « Sharükos ékud » et Karius s'en fut, chevauchant son mektoub à bride abattue sur la sciure du Désert.
Alors qu'il venait de passer l'Oasis d'Offlovak, le mektoub se cabra, faisant tomber à terre son cavalier. Shooki s'enfuit en faisant tomber les paquets destinés aux chantiers, et sa pioche. Malheureusement la liqueur de shooki resta dans les fontes du mektoub. Quelques peu sonné, Karius regarda autour de lui pour comprendre d'où venait la peur du mektoub. Il ne vit rien, mais une odeur se fraya un chemin jusqu'à ses narines. Cette même odeur lui fit hérisser les poils de la nuque, créant une vague de peur intense qui cloua sur place le fyros. Cette odeur ... Horrible, venant des entrailles d'Atys ... Les kitins. Droit devant. Trois kirostas gris-bleu accompagnés de kidinaks.
Le fyros tenta de se lever, il ne le put. La peur avait créé les lianes de la détresse et maintenait dans sa toile le pauvre homin, qui ne put que regarder les kirostas rugir, et avancer lentement vers lui. Il ne put que saisir sa pioche, arme de fortune, tandis que les kitins piétinaient les paquets destinés aux camps militaires.
La bataille ne fut pas glorieuse, car il n'y a aucune gloire dans les combats inégaux. Le fyros ne chercha pas à se défendre, il tenta de se dégager et de courir pour atteindre les eaux profondes de l'Oasis qui n'était pas très loin. Il réussit, mais était gravement blessé. Rugissant, les kitins se désintéressèrent de leur proie pour jeter leur colère, ou leur faim, sur les armas venus se désaltérer. Karius, dans l'eau, toujours sa pioche en main, nagea lentement vers la rive opposée. Il était hors de danger. Regardant sa pioche, le visage livide, il sourit.
Poudre verte dans sa main. Douce sensation... Il ferma les yeux et se concentra avec difficulté, puis jeta d'un geste lent la poudre sur la sciure, et le bruit qui lui était familier sonna à ses oreilles. Il tomba à genoux. Mais il avait vu le Prince...
Ecrit par Lerris Xarinyx, en 2546, CA II.
¹ : Sharümal signifie « Enfant de la Tête », soit le Prince, en fyros.
² : Sharükos signifie « la Tête des homins », soit Empereur, en fyros.
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